Autochromes, films et artistes béninois : le Dahomey des années 30 comme vous ne l’avez jamais vu


Le musée départemental Albert-Kahn consacre une exposition majeure au Dahomey des années 1930, offrant un voyage inédit au cœur de l’histoire du Bénin et de la mémoire coloniale française.

Une plongée dans le Dahomey de 1930

Intitulée « Bénin aller-retour. Regards sur le Dahomey de 1930 », l’exposition se tient du 14 octobre 2025 au 14 juin 2026 à Boulogne-Billancourt. Elle rassemble une sélection de photographies autochromes et d’extraits de films tournés entre janvier et mai 1930, lors d’une mission menée au Dahomey, alors colonie française, aujourd’hui République du Bénin.

Ces images, parmi les premiers grands ensembles du cinéma ethnographique, montrent la vie quotidienne, les marchés, les cérémonies royales, les cultes vodún, mais aussi la présence coloniale et l’évangélisation. Le public découvre ainsi un pays en pleine transformation, saisi à un moment charnière où traditions et modernité se croisent sous domination coloniale.

Les Archives de la Planète au rendez-vous

L’exposition met en valeur la richesse des « Archives de la Planète », vaste projet documentaire lancé par le banquier et philanthrope Albert Kahn au début du XXᵉ siècle pour enregistrer en images la diversité des civilisations humaines. La mission de 1930 au Dahomey constitue la seule incursion des Archives de la Planète en Afrique subsaharienne et l’une des dernières grandes campagnes avant l’arrêt du projet, après la faillite de la banque Kahn en 1931.

Sous la direction du missionnaire catholique Francis Aupiais, l’opérateur Frédéric Gadmer réalise plus de 1 100 autochromes et environ 140 bobines de film, soit près de huit heures d’images. Ces documents en couleur, d’une qualité visuelle exceptionnelle, restés longtemps méconnus, sont aujourd’hui recontextualisés par le musée et éclairés par les travaux récents des chercheurs.

Décoloniser le regard sur les images

Le parcours interroge la manière dont ces images ont été produites et utilisées, dans un contexte d’emprise coloniale et de naissance de l’ethnographie. Les visiteurs sont invités à questionner la position de Francis Aupiais, missionnaire fasciné par les cultures dahoméennes et défenseur de leur valeur, mais aussi acteur d’un projet d’évangélisation lié au pouvoir colonial.

Les dispositifs scénographiques mettent en tension la beauté des autochromes et la violence symbolique qui s’exprime parfois dans les situations filmées, notamment à travers les scènes de mission ou les discours de justification de l’exploitation économique du territoire. Cette approche critique permet de passer d’un simple « exotisme » visuel à une véritable réflexion historique sur les rapports de domination et de représentation.

​rédéric Gadmer (1878-1954) Autel du vodun Djéholou, Adjarra, Dahomey (Bénin), 19 janvier 1930 Autochrome, 9 x 12 cm

Un dialogue avec les artistes béninois d’aujourd’hui

Pour ancrer ces archives dans le présent, le musée Albert-Kahn a invité plusieurs artistes contemporains béninois, parmi lesquels Roméo Mivekannin ou Ishola Akpo, à réagir à ces images du Dahomey de 1930. Leurs œuvres – photographies, vidéos, installations – dialoguent avec les autochromes et les films, recomposent certaines scènes, déplacent les points de vue et redonnent voix aux personnes filmées.

Ce dialogue franco-béninois transforme l’exposition en espace de mémoire partagée, où l’on ne se contente pas de regarder le passé mais où l’on réfléchit à ce qu’il signifie pour les sociétés béninoise et française d’aujourd’hui. Il ouvre aussi la voie à de nouvelles coopérations avec des institutions culturelles béninoises, impliquées dans la valorisation et la réappropriation de ce patrimoine visuel.

Informations pratiques et enjeux pour le public béninois

« Bénin aller-retour. Regards sur le Dahomey de 1930 » est accessible à tous les publics, avec des médiations adaptées, des visites guidées et un catalogue richement illustré qui prolonge l’expérience au-delà du musée. Pour la diaspora béninoise comme pour les passionnés de culture africaine, l’événement offre une occasion rare de voir réunies des images d’archives exceptionnelles sur l’ancien royaume du Dahomey, conservées depuis près d’un siècle dans les collections d’Albert Kahn.

En dévoilant le Dahomey des années 30, le musée ne se contente pas de montrer de « belles images » ; il invite chacun à repenser la manière dont les regards européens ont construit, parfois déformé, la représentation de l’Afrique, et à laisser émerger des récits nouveaux, portés aussi par les voix béninoises

Commentaires(0)

Connectez-vous pour commenter cet article