L’artiste ivoirien Himra vient de connaître une consécration exceptionnelle lors de la 10áµ édition du PRIMUD, en raflant cinq trophées majeurs, dont le PRIMUD d’Or, preuve de sa domination actuelle dans l’univers du rap africain. Cette réussite interroge : existe-t-il aujourd’hui, au Bénin, un rappeur capable d’égaler Himra en termes de notoriété, performances artistiques et reconnaissance institutionnelle ? La situation du showbusiness béninois et le manque de rayonnement de ses récompenses permettent d’apporter des éléments de réponse.â
Himra s’est imposé sur la scène ivoirienne et africaine par la qualité de ses productions, la régularité de ses succès, et sa capacité à fédérer un large public, récoltant cinq distinctions lors du PRIMUD 2025, dont la plus prestigieuse du palmarès. Sa notoriété dépasse les frontières de la Côte d’Ivoire, faisant de lui un ambassadeur du rap africain, écouté même au Bénin où sa musique circule avec vigueur.â
De Sapkata Boys, en passant par Ardiess, le Taka Crew et ses pépites ou encore Blazz et la saga du Cotonou City Crew, Vano Baby, Crisba, Dibi Dobo, Kaysee M... le Bénin dispose de rappeurs talentueux et dynamiques, mais rares sont ceux qui bénéficient ou ont connu une reconnaissance à la mesure de Himra actuellement. Tous se heurtent à ce planfond de verre, tous peinent à franchir le cap du succès continental, faute de plateformes de valorisation et de dispositifs de promotion à grande échelle. L’environnement du showbusiness béninois n’offre en effet pas le même écho médiatique ni la même structuration que celui de la Côte d’Ivoire, ce qui limiterait l’envol de ses artistes.â
Le secteur culturel béninois a connu la création de diverses cérémonies de récompenses : Trophée Hokan, Bénin Top 10, Bénin Shobiz Awards et autres prix dédiés à la promotion des talents locaux. La plupart de ces initiatives, malgré des débuts prometteurs, ont fini par s’essouffler ou disparaître du paysage, faute de financement, de professionnalisation et de stratégie de continuité. Les rares cérémonies subsistantes peinent aujourd’hui à offrir un prestige équivalent à des récompenses africaines majeures (comme le PRIMUD, les Kora, ou encore les AFRIMA).
L’engagement patriotique et la mobilisation sur les réseaux sociaux jouent un rôle crucial dans le développement et la popularité des artistes africains aujourd’hui. Himra, par exemple, à l'image de bien d'autres dont l'icône Dj Arafat avec la Chine, a su fédérer une communauté solide, les Ultras, véritables supporters engagés qui participent activement à sa promotion en ligne et dans la vie réelle. Cette fanbase dévouée phénomène souligne l'importance de l’ancrage culturel et identitaire dans la réussite artistique, renforçant le lien entre l’artiste et son pays tout en étendant son influence au-delà des frontières. Ces dynamiques démontrent que la force des réseaux sociaux et l’attachement patriotique sont devenus des leviers essentiels pour l’essor et la pérennité des carrières dans un paysage musical où la connexion avec le public est plus que jamais stratégique.
Dans le showbusiness africain, la rentabilité est un défi majeur qui conditionne souvent la pérennité des carrières artistiques et la structuration des industries musicales locales. Malgré une croissance rapide du marché de la musique en Afrique subsaharienne, avec des revenus atteignant plus de 100 millions de dollars en 2024 grâce au streaming et aux nouvelles technologies, la rémunération des artistes reste souvent faible et inéquitable selon les réalités économiques régionales. Au Bénin, ce paradoxe est particulièrement ressenti : la scène musicale est riche en talents, mais la monétisation des œuvres peine à suivre, freinée par la fragmentation du marché, le manque d’infrastructures adaptées et de moyens de paiement modernes mais évidemment par le coût d'internet qui reste encore cher pour une grande partie de la population. Cette situation limite la capacité des artistes à vivre pleinement de leur art et fragilise l’organisation d’événements culturels ambitieux et durables. Peu d'artistes "s'aventurent" dans des organisations de spectacles qui leur sont propres. Se pose aussi l'éternel problème de la différence des cachets entre les artistes locaux et les invités sur les quelques rares scènes majeures qui existent encore. Dans ce contexte, parvenir à une meilleure rentabilité, grâce à une structuration renforcée et un appui institutionnel plus marqué même si aujourd'hui impulsé de part l'exposition du pays et de sa culture à travers le monde, est essentiel pour que des rappeurs béninois puissent rivaliser à terme avec des figures comme Himra, Didi-B, Suspect95 dont le succès s’appuie aussi sur un écosystème économique plus matureâ
Contrairement à la Côte d’Ivoire, le Bénin ne dispose pas, à l’heure actuelle, d’une industrie du divertissement florissante et bien structurée, ni de dispositifs de promotion et d’accompagnement puissants pour ses artistes. Les soutiens institutionnels restent limités. La visibilité des artistes et la portée de leurs distinctions restent confinées à l’échelle nationale, ce qui freine leur ascension sur le continent.â
Pour relever ces défis, plusieurs pistes sont à explorer :
La création ou la relance de cérémonies de récompenses ambitieuses, crédibles, ouvertes aux publics africains et à la diaspora.
Le développement de fonds d’appui dédiés à la professionnalisation et à l’exportation des talents locaux. Avec des programmes pertinents et éthiques, mesurables et transparents.
La promotion et la formation d’un réseau d’acteurs structurés (managers, promoteurs, médias spécialisés) capable de soutenir durablement les carrières artistiques.
Une implication accrue des pouvoirs publics en créant un environnement propice au secteur privé pour accompagner à la fois sur la scène locale et internationale.
Les acteurs du secteur (artistes, managers, journalistes, institutionnels, sponsors) portent ainsi une lourde responsabilité dans la structuration d’un écosystème qui valorise durablement la créativité béninoise, afin de permettre aux artistes locaux de prétendre, demain, à des consécrations d’envergure continentale comme Himra aujourd’hui.â
L'exemple d’Himra est la preuve que la reconnaissance panafricaine repose autant sur l’excellence artistique que sur la force d’un écosystème capable de mettre en valeur ses talents. C’est ce défi que doit désormais relever la scène musicale béninoise, le Rap béninois restant indéniablement un vivrier de talents, que l'Afrique nous enviait il n'y a encore que quelques années en arrière. Il est encore possible de reprendre le flambeau.